Un aperçu du Café Psychomot’ du mardi 15 décembre 2015

Quel bel espace que ce « Chaudron » ! Grégory, tout attentionné, nous y a accueillis en maître des lieux!
Pour se perdre et se retrouver, suivons Pascale Olivier qui, dotée de sa longue expérience de psychomotricienne en CMP, pratique aussi le T’chi Clown. Comme elle, suivons le nez rouge pour occuper l’espace, être présent à l’espace, l’habiter mais aussi s’ouvrir à lui et aux autres.
Pour vous présenter toute la complexité de la conscience de l’espace, nous retiendrons deux images que Pascale nous a livrées parmi une multitude, les espaces étant faits de superpositions, d’inclusions, d’imbrications… ·         Le couple primitif constitué par Gaïa, la terre, et Ouranos, le ciel. C’est l’espace infiniment grand qui s’origine dans la dé-fusion.
·         Le nid, beaucoup plus petit, dont Bachelard décrit la constitution, dans « La Poétique de l’Espace », à partir de l’intérieur (Bachelard cite Michelet).
Ces deux images amènent d’emblée les notions d’intériorité et d’extériorité, c’est-à-dire la conscience de Soi et la conscience de l’espace environnant. Pour comprendre comment le petit d’homme s’installe dans cette double conscience, Pascale s’appuie sur les écrits d’Ajuriaguerra qu’elle cite : « L’appréhension de l’espace, la conscience du corps, ne sont pas des fonctions isolées, abstraites et juxtaposées ; elles sont ouvertes l’une à l’autre ; elles représentent des moyens d’actions pour soi-même et des moyens de connaissances du monde ; la dynamique du corps agissant ne peut s’accomplir que dans l’espace et jusqu’à un certain point, l’espace n’est rien pour nous sans le corps qui agit. », « L’enfant et son corps », in « Corps, tonus et psychomotricité ». Pascale cite aussi Hall pour qui « tout ce que l’homme est et fait est lié à l’expérience de l’espace ; notre sentiment de l’espace est lié à la synthèse de nombreuses données sensorielles, d’ordre visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et thermique », ce qu’il relie immédiatement avec des faits culturels qui nous modèlent : « On ne peut donc échapper au fait que des individus élevés au sein de cultures différentes vivent également dans des mondes sensoriels différents. » La constitution de la limite entre intériorité et espace environnant ne va pas de soi : c’est une affaire de différenciation, de distinction, d’ordonnancement. C’est-à-dire que l’espace corporel est positionné dans un ensemble plus vaste, un espace élargi fait d’inclusions successives qui nous mettent en situation de subordination, dans un rapport à l’environnement.
De la conscience de mon corps à celle de l’environnement, qui des deux apparait la première ? L’exercice de notre profession de psychomotricien nous inciterait à penser que notre tout premier espace est notre corps. Pour les philosophes, l’émergence des deux serait synchrone, telle la différenciation entre la terre et le ciel. En tout cas, pour les petits d’homme, c’est par leur corps agissant qu’ils s’organisent, mais aussi qu’ils perçoivent et organisent l’espace. Pascale parle de co-modélisation corps/espace.
Le territoire. Délimiter son territoire, en tracer la limite signifiant la démarcation, la différenciation, la séparation : un dedans bien fermé, délimité pour nous protéger d’un dehors perçu comme potentiellement dangereux… La question est éminemment d’actualité. Toutes les sociétés par définition sont en relation avec l’espace. Elles se signifient par leur organisation spatiale. La relation à l’espace est ainsi garante de la particularité des identités.
La maison, c’est un abri, un lieu à habiter, où se loger, où l’on se sent en sécurité, où il fait bon vivre. Pour Bachelard, elle « est une des plus grandes puissances d’intégration pour les pensée, les souvenirs et les rêves de l’homme… sans elle l’homme serait un être dispersé, elle maintient l’homme à travers les orages du ciel et les orages de la vie. »
La construction de la cabane, en séance, passe par la manipulation d’objets, par l’agencement de ces mêmes objets dans l’espace de la salle. Il s’agit d’utiliser l’architecture de la salle, une cabane en appui sur un des murs ou dans l’encoignure de la porte. Il faut que ça tienne, en bouchant hermétiquement les trous.
Le coin. Un coin pour soi. Se retirer dans son coin, se réfugier, se pelotonner pour mieux se retrouver. Un coin qui soutient le dos pour s’ouvrir à l’avant.
Franchir la limite, passer le seuil, c’est encore une affaire de différenciation et de figuration. Délimiter, c’est un acte de signification. « La délimitation est à considérer comme un élément fondamental dans la constitution et la représentation des systèmes spatiaux des sociétés », F. Lévy.
Pour enrichir encore sa présentation, Pascale nous invite vivement à lire l’article de Bernard Andrieu : « Les rayons du monde : l’espace corporel avec Merleau Ponty. »
Et le débat s’en suit, chacun extrayant du nid le fil de sa pensée en lien à sa clinique professionnelle :
La clinique des SDF apparaît dans nos associations et Natacha se souvient de ce que rapportait un collègue psychologue qui travaillait dans un dispositif psychiatrique de liaison autour de la question de l’espace propre et des vêtements qui semblaient matérialiser cet espace corporel, exposé et confondu entre le dedans et le dehors de soi. Mélanie parle d’une rencontre clinique avec un patient SDF qu’elle ne pouvait rencontrer d’abord que dehors, puis dans le couloir, puis dans un coin de la salle… La salle revient alors par l’espace de la rencontre.
Aran interroge la question du creusé, dans la construction spatiale, Natacha pense à Pénia, mère d’Eros secondaire, déesse du manque, du creux.
L’attention et l’attente, la forme et l’informe se joignent à la construction de l’espace relationnel dans la clinique auprès de patients très régressés, pour lesquels l’espace du corps n’est construit souvent que dans l’informe, et où il y a parfois à disparaître légèrement et offrir une image de son corps peu construite ….
Nous pensons aussi aux « enfants tourbillons » et la course, le mouvement spatial se situe dans un « après quoi courent-ils ?» mais aussi un « devant quoi courent-ils ». La spatialisation du mouvement tourbillonnaire pourrait-elle aussi se comprendre comme un petit coin fait pour soi ?
Nous aurions bien envie de débattre encore sur l’espace corporel et la mise en espace du corps dans nos séances, mais Chronos est là aussi, pour nous rappeler qu’espace et temps ne sont pas dissociables….
Nous vous souhaitons une très belle année 2016, riche en espaces à partager.
Pour l’ARRCP,
Odile Gaucher et Natacha Vignon

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *