Un aperçu du Café Psychomot’ du 24 avril 2018

C’est dans une chaleur quasi estivale que nous nous retrouvons pour ce dernier café psychomot’ de la saison sur le thème «  La psychomotricité hors des sentiers battus ».
Fabien Da Rosa vient nous parler de sa clinique, en bordure ou au cœur d’une enceinte, auprès de jeunes accueillis en Centre Éducatif Renforcé et qu’il reçoit pour des bilans psychomoteurs uniquement.
Fabien nous raconte son parcours professionnel de psychomotricien en pouponnière et lieu d’accueil de placement judiciaire pour enfants de 0 à 3 ans et en ITEP. Il évoque son étroite collaboration avec Maurice Berger. La réorganisation du CHU dans lequel il travaille avec M. Berger le conduit, dans « un instinct de survie », nous dit-il à s’installer en libéral. C’est dans le cadre de sa pratique en libéral qu’il intervient, en tant que prestataire, une fois par semaine le samedi dans ce CER, qui s’engage financièrement dans les évaluations psychomotrices des jeunes.
Fabien nous précise son cadre d’intervention : un bilan psychomoteur pour faire un état des lieux des compétences et des souffrances des enfants et la transmission à l’équipe pour étayer leur compréhension de l’enfant. Les enfants, adolescents reçus au CER y sont placés sur décision d’un juge, comme une alternative à la  prison pour mineur ou pour alléger leur peine à leur devenir adulte. Ce placement se fait pour une durée de 6 mois. Plus tard dans la soirée, Fabien interrogera cette temporalité en évoquant un idéal de 9 mois, symbolique, comme une grossesse à refaire et une nouvelle naissance, à la sortie ? Le CER, cette grande bâtisse, entourée de hauts murs, dotée d’une piscine, d’un poulailler pourrait donner l’image d’une maison campagnarde. La hauteur des murs, ainsi que la fermeture des portes par un code nous rappelle bien que nous sommes dans une enceinte judiciaire et éducative.
Fabien choisit de nous présenter Michel, 17 ans. Il nous le décrit comme « pressé, impatient, impulsif, agressif avec lequel il ne faudrait pas se laisser envahir et qui met la pression ». Le face à face est difficile et le regard de Fabien souvent de côté pour faciliter la relation. Fabien nous rappelle aussi combien il convoque le tiers, ostéopathe, pour porter la question du soin du corps, de la douleur physique et faire alliance avec ces jeunes. Michel va d’ailleurs évoquer dans différents entretiens une fracture au bras gauche avec une alternance dans son vécu entre « c’est ma faute » et « c’est la faute des autres ». Il semble avoir un vécu traumatique de cet accident et cela viendrait peut-être bien en lieu et place d’une histoire infantile traumatique sur laquelle nous reviendrons plus tard. Fabien faisant le choix de ne pas connaître nécessairement l’histoire de ses patients quand il les rencontre.
Il va nous présenter en détail deux tests échelonnés qu’il utilise précisément pour rechercher les troubles du schéma corporel :
–        le test de Claire Merjac qui permet d’obtenir un âge du développement du schéma corporel
–        le test sur les représentations corporelles d’Olivier Moyano.Et également le MABC d’évaluation du mouvement. Ces tests précis sont importants pour Fabien pour tenter de dire quelque chose de l’investissement du schéma corporel de ses patients. Au test de Moyano, Michel répond à la question sur les parties de l’intérieur du corps en évoquant les os. Concernant les parties visibles de l’extérieur, il ne parlera pas du visage ni de ses orifices. Fabien nous amène ensuite les planches du test de C. Merjac afin de nous faire suivre avec lui les résultats de son patient. Lors de la passation de cette épreuve, Michel vivra des moments de régression se recroquevillant et prenant son pouce (rappelons qu’il a 17 ans) ce qui permettra à Fabien de se dégager d’un contre transfert difficile avec ce patient. Le test donnera comme résultat un âge de construction du schéma corporel de 8 ans et 9 mois.
L’anamnèse rapporte que Michel est d’origine étrangère et que son père était absent à la naissance (il vivait en France). Il serait né par césarienne car le cordon ombilical entourait son cou. Une séparation précoce a lieu entre sa mère et lui, bébé hospitalisé en néonatalogie et sa mère, hospitalisée également. Fabien questionne d’emblée les effets de cette séparation sur l’attachement et les traces que Michel aurait pu en garder. La mère se rapproche du père et déménage en France, Michel a alors 2 ans et demi. Elle découvre à ce moment-là le secret de la double vie que mène le père de Michel. Fabien se questionne sur le sens de la naissance de cet enfant pour ce couple, pour ce père. Michel est décrit très tôt comme instable, hyperactif ce qui a entraîné un suivi dans un CMP, puis une orientation en ITEP. Il consomme régulièrement du cannabis, arrête l’école et ses troubles du comportement et son agressivité se majorent. Un passage à l’acte violent envers autrui le conduit au placement judiciaire au CER.
Fabien élabore un lien entre le passage à l’acte et une culpabilité primaire qui pousse à transgresser la loi pour pouvoir la soulager « être vraiment puni pour de vrai ». A qui revient la faute ? Nous dit Fabien. Aux parents ? À la société ? En tout cas Fabien émet l’hypothèse que faire travailler Michel sur toutes les culpabilités pourrait lui permettre de se soulager de la culpabilité primaire et c’est le travail que tentera de faire le CER avec lui.
Fabien nous relit des extraits de l’article de Maurice Berger, donné en lecture pour ce café, qui cite l’article 371 du code civil  « L’enfant doit honneur et respect à ses pères et mères » et l’article 227-17 du code Pénal « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende », ceci nous amenant à saisir fortement que les processus ne sont pas de même nature : l’un étant par principe et l’autre par obligation.
Par rapport au texte de Mélisandre le Corre, également donné en lecture, Fabien se positionne en rappelant que l’histoire de vie du patient dont nous parle l’auteure fabrique de la folie et de la violence alors que l’auteure parle d’une institution qui fabriquerait cela.
Néanmoins Fabien doit s’appuyer sur d’autres représentations du patient pour pousser l’investigation du SC. Les jeunes ont tendance à résister à la levée du déni sur la violence parentale, familiale. Il nous dit que ce qui fait souffrir c’est quand l’institution propose un cadre sain, dans lequel la loi est suivie et où l’on ne fait pas comme si rien ne s’était passé. Maurice Berger dans son article parle de cette loi, comme symbolique, structurante et organisatrice.
Fabien rappelle que son bilan sert :
–                     A reprendre des éléments avec l’enfant et ce qui est nommé de la souffrance. Il précise souvent à ses patients que quand des troubles du schéma corporel sont présents c’est qu’il y a eu des choses difficiles de vécues.
–                    À la reconnaissance du jeune par les autres professionnels car Fabien apporte des éléments qui permettent d’affiner la compréhension en transmettant ses préoccupations. Cela agirait comme un partage des préoccupations parentales.
–                    L’écrit qui insiste souvent sur l’existence d’un trouble du SC, car pour Fabien, il est la manifestation de violence ou de la négligence parentale.
Fabien fait un lien sur le schéma corporel et comme il nous dit « ces gosses tout cassés, blessés, douloureux, qui chutent et se malmènent » et dont la banalité de ce rapport au corps participe d’un déni. Cette hypothèse du lien trouble du schéma corporel-violence est soutenue par M. Berger et peut avoir du poids lors du jugement et face à des parents car cela lève l’idée que « ça n’est pas parce que ça ne se voit pas, que ça n’a pas existé ».
…Revenons à Michel, qui dans son programme de soin aura de la remise en forme comme endroit de la préoccupation de prendre soin de soi et des soins psychothérapiques avec psychologue et psychiatres…
Fabien nous propose sa compréhension du texte de M. Berger qui oppose la violence thérapeutique organisatrice et la violence désorganisatrice. Dans le cas de la violence organisatrice, il y aurait à limiter, contraindre par l’autorité, non sans culpabilité et c’est souvent ce que peuvent vivre les professionnels dans les institutions. Être tenu et être contenu seraient deux facettes du holding de Winnicott sur lesquelles insistent M. Berger dans son texte : je cite « on comprend que dans les soins, l’éducation et la rencontre avec la justice, ne pas être contenu puisse être vécu comme un lâchage, un non investissement. Contenir renvoie à deux notions : la limite, qui concerne la bordure, la ligne de démarcation entre deux territoires, et qui peut avoir une dimension subjective ; et l’interdit, inter-dit, qui consiste à défendre, souvent en référence à une contrainte sociale ou législative ». Dans le cadre de cette violence-ci, Fabien, avec son cadre ferme et contraignant de bilan, tente de mettre en évidence l’importance des troubles du schéma corporel comme un témoin des liens, des articulations et des structurations du sujet.
A son opposé la violence désorganisatrice est celle, nous dit M. Berger, qui repose sur des processus d’indifférenciation et signe de confusion et de désubjectivation de l’autre. La problématique de la violence pathologique serait à penser en termes de « construction de l’espace et du temps interne et de la construction des enveloppes. Les bilans montrent des altérations du schéma corporel ». On comprend ainsi les enjeux défendus par Berger du placement des enfants comme moyen, pour construire dans un autre cadre que celui de la famille, une violence organisatrice, différenciatrice, posant des limites entre adulte et enfant.
Avant de commencer la discussion et parce que Chronos (alias Odile ! ) représentant du temps fait limite aussi, Fabien nous rappellera à nous autres psychomotriciens souvent engagés dans des jeux, que la destructivité naturelle est nécessaire pour exister et que si un enfant joue seul et met trop le bazar, c’est qu’il a besoin de jouer avec quelqu’un.
Notre discussion démarre par des questions sur le bilan que propose Fabien, qui nous explique que souvent les jeunes lui répondent « je veux pas le faire ». Il s’en suit alors un rappel à une règle commune « si, tu es obligé, c’est systématique, ainsi que pour moi ». Cela participerait pour lui d’un travail d’identification sur la soumission à la règle.
Je souris en entendant Fabien nous parler de la place de l’arbitre au foot alors que, sur l’écran allumé du café de la cloche, Liverpool joue contre Rome. Cette métaphore de l’arbitre qui fait respecter la loi, mais peut aussi faire des erreurs appuie son propos sur le rappel que ce sont des humains. Pense-t-il aux parents ? Aux professionnels de ces institutions ? Au juge ?
Odile questionne Fabien sur ce qu’il a entendu sur les 6 mois d’un jeune passé au CER. Il nous rappelle qu’il choisit d’être neuf quand il rencontre l’enfant et se réfère à M. Berger qui dit que le fond doit être continu, stable et fait d’un amour inconditionnel pour contenir les débordements pulsionnels. Cela fait réagir Odile, cette notion d’amour inconditionnel serait à nuancer selon elle, quand elle pense à ses patients.
Aurélie questionne Fabien sur la durée du bilan et le temps de transmission, ce qui lui permet de préciser son cadre. Un samedi par semaine, deux bilans le matin et deux l’après-midi (chaque bilan durant 1h30). L’anamnèse n’est pas incluse dans le temps du bilan. Pendant le temps de midi, il mange avec les jeunes, rencontre les assistants familiaux qui sont à l’écoute, comprennent bien les observations qu’il leur transmet. Le compte rendu est envoyé dans les 15 jours, 3 semaines et Fabien le vit comme un passage de relais vers ceux qui seront dans le soin. 12 jeunes sont reçus en bilan. Il facture pour chaque jeune 120 euros. La capacité économique du CER ne permet pas d’assurer des suivis par la suite. C’est donc une limite avec laquelle Fabien a dû composer le cadre de ses interventions.
Véronique exprime l’idée qu’il est dommage qu’un bilan de sortie ne puisse être réalisé à l’issue des 6 mois du CER.
Aurélie (que nous avions écoutée lors du premier café psychomot’ de cette saison) fait le lien avec sa clinique, auprès de personnes âgées au parcours SDF ou psychiatriques lourds et l’importance de la trace comme preuve d’existence. Si pour Fabien, son patient ne peut se représenter l’intérieur de son corps qu’à partir de ses parties osseuses, Aurélie parle de ses patients pour lesquels un lit douillet serait trop douillet et mou pour être sécurisant. Fabien dit qu’au CER les jeunes qui ne peuvent pas supporter d’être enfermés fuguent. Les passages à l’acte sont alors repris en équipe, notés et remontent aux institutions judiciaires. L’argument éducatif est donc le suivant « si tu passes à l’acte, ça sera inscrit à ton dossier ». Selon lui, certains jeunes ne peuvent s’en saisir et il repère que les jeunes, dépendant au cannabis et qui, une fois au CER, sont en sevrage, sont alors exposés au risque de se remettre à penser et ne le supportent pas. Fabien rappelle encore que chaque fois que les éducateurs interviennent, cela a du sens et fait vivre de la violence et parfois de la culpabilité, mais que cette violence est organisatrice.
Denis amène un échange sur la contenante et les contentions avec lesquelles selon lui il faut être prudent. Pour rappel, quelques établissements psychiatriques font actuellement l’objet d’enquête sur les abus de la contention. Mais c’est surtout sur la loi, sa valeur, sa fonction qu’il revient. Il exprime à Fabien combien il trouve intéressant sa position de « contrainte de bilan » , dans un lieu où l’enfant est obligé d’être là. Finalement Denis rappelle que l’autorité autorise et ainsi, dans ce temps proposé par Fabien, c’est comme s’ils s’autorisaient, ensemble, à être dans une « espèce d’ailleurs » (rappelons que Fabien vient de l’extérieur). Denis fait le lien avec un groupe thérapeutique à l’hôpital de jour dont la règle est « tu n’as pas le droit de sortir avec tes objets, mais si tu veux tu peux les ranger dans un casier unique pour toi ». Cela crée un espace qui préserve l’intime dans une zone collective, comme l’espace proposé par Fabien.
Martin différencie règle et loi, l’une pouvant être assouplie et singulière, l’autre étant la même pour tous.
La règle du temps nous aura limités dans nos échanges : ainsi peut-être resterons nous avec l’envie d’échanger d’avantage sur les liens amenés par Fabien sur le schéma corporel et l’intégration de la loi, comme un espace dans nos têtes… espace qui nous pousse à continuer à partager, penser, réfléchir.
Un grand grand merci à toi Fabien pour ta présentation riche, les liens entre la clinique avec Michel qui nous a ancré et les appuis sur les auteur(e)s, Mélisandre le Corre (article extrait  du livre l’adolescent, son corps ses « en-jeux » sous la direction de Catherine Potel ) et M. Berger, auteur de nombreux ouvrages dont « l’échec de la protection de l’enfance » et « l’enfant instable » Fabien nous rappelle que l’article et le bilan d’Olivier Moyano sont consultables gratuitement en ligne. J’ai fait ma petite recherche et ai trouvé ce lien.
Ainsi s’achève notre saison 2017-2018 qui aura donné lieu à trois moments très différents, mais singulièrement très riches de ces pratiques de psychomotricité « hors des sentiers battus » . Odile, Lison et moi allons plancher pendant l’été afin de vous proposer une nouvelle saison. Si vous avez des idées, des envies, n’hésitez pas à nous contacter par le biais du mail de l’ARRCP : arrcplyon@gmail.com
Nous vous souhaitons un beau printemps, et un bel été, avant de vous retrouver.
Compte rendu rédigé par Natacha Vignon, pour l’ARRCP.

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